Ce n’est pas tous les jours que le cinéma passe au crible un sujet délicat, humain, technique, subtil. Et si en plus, il se trouve que ce sujet trône sur ma table de travail depuis des années, alors là, je jubile. Vu de loin, si je dis aux copains « Ce soir, je vais voir un film sur l’ethnopsychiatrie. », ça ne déclenche pas franchement la liesse populaire. Et pourtant… Grâce au film d’Arnaud Desplechin, intitulé Jimmy P., psychothérapie d’un Indien des Plaines, nous assistons aux balbutiements de l’ethnopsychiatrie. Le propos n’est pas des plus glams, et le genre « film psychanalytique » passablement risqué. Malgré ces écueils, on ne sent pas passer ces deux heures entre Georges Devereux et James Picard, son premier et seul patient, qui lui permettra de mettre en œuvre ses recherches en ethnopsychiatrie, et formaliser une cure à partir de ces concepts.
James Picard est un vétéran de la seconde guerre mondiale, et il en a gardé des maux de tête et des vertiges. Devereux se trouve à New York, et quand on pense à lui pour ce patient qui résiste à tous les diagnostics, il commence par s’enquérir de l’ethnie d’origine du monsieur. Blackfoot. Devereux est un spécialiste des Mohaves, un autre groupe ethnique nord-américain, il pense pouvoir faire quelque chose. Et c’est là l’hypothèse révolutionnaire : en plus de connaître sa technique et sa discipline, il postule que connaître la culture de l’autre est un élément fondamental dans le soin. Commence alors une cure hors cadre, hors du temps à l’hôpital militaire de Topeka. À force de récits, de rêves, l’Indien introverti, impulsif et alcoolique va se révéler à Devereux, à moins que ce ne soit l’inverse. Bien sûr, Devereux est trop. Trop content d’avoir enfin un patient, trop intrusif, trop dirigiste dans ses questions, trop enthousiaste, trop conseiller… mais le fait est que ça fonctionne. Devereux écrit tout ce qui se passe, et ce matériau constitue le livre à l’origine du film et de la discipline, tant qu’à y être.
Au fait, c’est quoi l’ethnopsychiatrie ?
Si l’on est à peu près raccord sur le nombre de vertèbres, de côtes que nous possédons chacun, qu’en est-il en revanche de la définition de notre être profond ? Quelqu’un ? Non, personne ? Bon. Alors si l’on estime que nous sommes de subtils entrelacs de nature et de culture, il y a de fortes chances pour que notre conception de la nature humaine soit largement imbibée par les idées de notre culture d’origine. Et cette culture, en même temps qu’elle code la norme, va aussi coder l’anormal. L’ethnopsychiatrie étudie tout cela : dans un culture donnée, comment se structure un être humain, et depuis ce noyau, quelle forme prennent les différents désordres humain ? Et fonction de ces conceptions, les systèmes de soins pour y remédier. En résumé, la question qui se pose est de savoir si l’on est fou de la même manière en Papouasie qu’en Rouergue, et ce que l’on peut faire de cette folie, dans un cas comme dans l’autre.
Qu’est-ce qui soigne ?
Il est vrai qu’après Jimmy P, on continue de se poser la question : est-ce la technique qui soigne ? ou bien la relation ? qui soigne qui ? une certaine symétrie entre les deux hommes ? Le film effleure un tout petit peu cette hypothèse en évoquant rapidement les différents noms de Devereux, lui aussi passé d’une culture et d’une langue à l’autre pour camoufler un nom trop juif hongrois pour traverser tranquillement la deuxième guerre mondiale. Migraineux à l’instar de son patient, disposant lui aussi d’un « nom indien » provenant de son histoire d’origine et converti au catholicisme, les deux hommes présentent un certain nombre de similitudes. Cependant, tout y passe : le rêve du psy, le transfert, le contre-transfert. La cure marche. Grâce ou à cause de quoi, qui peut savoir ? C’est l’éternelle question que nous nous posons tous. Et à laquelle personne n’a encore apporté de réponse satisfaisante à mon goût.
Mais l’autre jour, en écoutant Matthew Thie nous détailler les origines du Touch for Health et de la kinésiologie des origines (voir ici), précisément une anecdote sur l’église que fréquente sa mère, où se pratiquent des réunions hebdomadaires de prière et de guérison, et où les participants recourent aussi souvent à l’imposition des mains, j’ai pensé : le Touch for Health pouvait-il voir le jour dans un contexte culturel autre que celui-là ?
Ces notions de soigner dans sa culture, ou depuis sa culture n’ont pas fini de dévoiler tout leur potentiel, de mon point de vue, et j’y reviendrai. De la même manière, intégrer le contexte culturel de l’autre dans le soin constitue une donnée essentielle à sa compréhension, d’autant que les cultures se multiplient autour de nous, sans aller chercher des idées hautement exotiques, mais un homme, un sportif, un enfant, un ou une musicienne, chacun dans sa discipline et avec ses spécifités, ne sont-ils pas autant de micro-cultures qu’il faut appréhender pour avoir une connaissance globale de l’individu ?
http://www.ethnopsychiatrie.net
L’ethnopsychiatrie aujourd’hui, dernières recherches, avancées, bibliographie très complète chez http://tobienathan.wordpress.com